Je vis le père Ohrel. notre voisin, sortir à ce moment-là et parler. mais je ne comprenais pas ce qu’il disait. Des coups de feu éclatèrent. C’étaient deux autres cavaliers qui eux. étaient venus directement de la rue de la Forêt, Ils avaient mis pied à terre et tiré dans le hall de la maison «Fels» (actuellement Rodeghiero). On m’écarta de la fenêtre, et je sus plus tard qu’ils avaient cru que c’était la Poste, Puis ils allèrent à la Poste, en face de la maison et coupèrent les fils du téléphone. Ils disparurent aussi vite qu’ils étaient venus. On voyait aussi quelques cavaliers évoluer sur le chemin de la côte dominant Netzenhach. Ils étaient probablement en reconnaissance.
Le lendemain, il y avait le gros d’une troupe de soldats français dans le village. Ils marchaient le long des maisons. Sous l’auvent de la forge. ils se reposèrent, cassèrent la croûte. Ma grand’mère leur parla longtemps. Les soldats lui dirent que les Allemands étaient tout près et qu’il y allait sûrement avoir du grabuge. « Vous descendrez à la cave et ne fermerez pas les portes de la maison».
Je ne sais combien de temps passa. A cinq ans, on n’a pas la notion du temps. Ce que je sais. c’est que je me retrouvai avec ma mère qui était enceinte et ma grand’mère. blottie derrière le plus gros des tonneaux et que dehors, il y avait beaucoup de bruit. On était en pleine bataille,
Les Allemands canonnaient les Français depuis les hauteurs de Grendelbruch vers le «Finage», la «Gosse», le chemin des Chênes, Les obus sifflaient longuement avant d’exploser. Dans la rue, on courait. Les coups de fusil claquaient et cela faisait beaucoup de bruit avec le hennissement des chevaux affolés. Ne comprenant rien à tout cela. je m’endormis et je fus réveillée par un tonitruant "Wer da"? en haut de l’escalier conduisant à la cave. Les Allemands fouillaient déjà la maison. Ils emmenèrent un blessé français qui s’y était réfugié. Il y eut beaucoup de morts. Les blessés furent soignés à l’Hôtel du Donon (place de la gare) et à l’école des filles. L’air sentait mauvais, la poudre. le "lysol". Il n’y avait plus de pantalons rouges dans le village, mais des soldats en gris-vert plutôt menaçants.
Un peu plus tard, le calme revenu, ma mère, sur ordre, nettoya l’auvent de la forge. Elle jeta le tout dans le trou d’eau, c’était la sortie du lavoir. Le père Ohrel ne l’entendit pas ainsi. C’était sa propriété et il invectiva vivement ma mère en alsacien.
Le père Ohrel, originaire de Still, exploitait la carrière de Netzenhach, il était riche, il parlait haut et fort et ne se gênait nullement d’injurier les soldats allemands.
Toujours est-il que quatre soldats avec casque à pointe et baïonnette au canon, vinrent l’arrêter au petit matin. Derrière les persiennes, ma mère et moi le virent sortir de chez lui, en chemise blanche non boutonnée, tenant de ses mains entravées son pantalon dont les bretelles n’étaient pas relevées. Ce fut rapide. Ils l’emmenèrent dans ce que l’on appelait la «prison», un petit bâtiment avec une lucarne grillagée.